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Consultation sur l’avant-projet de loi sur le Conseil de la magistrature

Réponse du Parti Socialiste vaudois

Consultation cantonale
  1. Principe de la création d’un Conseil de la magistrature

Actuellement, les responsabilités en matière de surveillance de la justice sont partagées entre le Tribunal cantonal et le Grand Conseil. Le Tribunal cantonal, qui bénéficie d’une autonomie organisationnelle et dirige l’ordre judiciaire, surveille les autorités judiciaires. Le Grand Conseil exerce une « haute surveillance » sur la gestion du Tribunal cantonal. Ce système a des limites et a engendré des tensions entre le pouvoir judiciaire et le Grand Conseil. Le Ministère public (procureurs) est quant à lui soumis en l’état à la surveillance du Conseil d’Etat, sauf la ou le Procureur-e général-e (art. 20 et 21 de la loi sur le ministère public).

La création d’un Conseil de la magistrature (CM) – soit d’un organe indépendant chargé de surveiller les autorités judiciaires mais sans intervenir sur le contenu des jugements – est discutée depuis plusieurs années pour remédier à cette situation. Elle a notamment été proposée par un rapport de Dick Marty commandé par le Canton suite aux débats institutionnels suscités par l’affaire « Claude D. » ou « Marie ». Tous les cantons romands (sauf Vaud) connaissent désormais cette institution avec toutefois des différences notables quant aux compétences et à la composition. Elle n’existe pas outre-Sarine ni sur le plan fédéral. Elle est connue de nombreux autres Etats où le pouvoir judiciaire n’est toutefois pas organisé de la même manière qu’en Suisse (absence d’élection).

L’avant-projet (AP) mis en consultation est le résultat de discussions approfondies notamment entre le Conseil d’Etat et les commissions du Grand Conseil en charge des autorités judiciaires. La création d’un Conseil de la magistrature doit être saluée car elle permet d’unifier les compétences actuellement partagées entre le Bureau du Grand Conseil, le Conseil d’Etat et le Tribunal cantonal (TC) s’agissant de la surveillance disciplinaire des magistrats et des procureurs. Il s’agit d’une clarification et d’un système plus transparent pour les justiciables. Cela permet également d’assurer une égalité de traitement entre tous les juges (et procureurs) concernés, y compris les juges cantonaux et la ou le Procureur-e général-e qui échappent aujourd’hui à une surveillance directe. La création du CM nécessitera une révision de la Constitution, dont le texte fait également l’objet de la consultation, et donc une votation populaire.

La surveillance souhaitable du futur CM ne saurait toutefois se substituer entièrement aux compétences du Grand Conseil, soit des représentant-e-s démocratiquement élu-e-s du peuple. Au final, c’est le Grand Conseil qui est responsable du bon fonctionnement des autorités judiciaires. L’AP n’évite pas cet écueil en conférant au CM de larges compétences qui pourraient « remplacer » celles exercées par certaines commissions du Grand Conseil, en matière d’élection ou de haute surveillance. Or, il est important de conserver une forme de lien direct entre les élu-e-s du peuple et le fonctionnement de la justice, ce que permettent les auditions de la commission de présentation ou les visites de la commission de haute surveillance. Il faut également prendre garde que les règles de composition du CM n’excluent pas une représentativité suffisante en son sein des valeurs socialistes. Nos critiques se focaliseront donc sur ces deux aspects.

 

  1. Composition et organisation (art. 5 à 24)

Avec la composition proposée, il existe le risque que les personnes à sensibilité de droite soient surreprésentées même si la droite est déjà majoritaire dans les instances de surveillance actuelles. Ce risque est d’autant plus important si le CM a des compétences étendues en matière de surveillance administrative et de réélection et en vient presque à « remplacer » le Grand Conseil.

La loi devrait garantir une représentation équilibrée des sensibilités politiques ainsi que des genres au sein du CM, ce que ne fait pas l’AP.

Le système proposé pose problème dans la mesure où il laisse dans une large mesure le choix des membres aux organismes représentés, ne conférant au Grand Conseil qu’une sorte de droit de veto. Il est ainsi problématique que le membre avocat soit désigné par l’Ordre des avocats vaudois (association de droit privé dont ne sont pas membres plusieurs avocats de gauche) (art. 5 let. d), que l’Ecole de droit de l’UNIL désigne son représentant (art. 5 let. f) ou encore que la Cour plénière du TC désigne les membres magistrats (art. 5 let. a et b) et le collège des procureurs les membres procureurs (art. 5 let. c). Ce mode d’élection risque d’aboutir à un CM composé de membres que les autorités auront bien voulu désigner. Tous les membres du CM devraient être élus directement par le Grand Conseil, sur proposition de la Commission de présentation, auprès de laquelle les personnes intéressées devraient faire acte de candidature. L’élection directe par le GC serait une meilleure garantie de l’indépendance du CM et d’une représentativité des différentes sensibilités politiques.

L’AP prévoit quatre membres « magistrats » (deux magistrat-e-s et deux procureur-e-s) sur neuf membres. Or, selon la Recommandation « Les juges : indépendance, efficacité et responsabilités » du Conseil des ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe du 17 novembre 2010 https://rm.coe.int/16807096c2, un tel organe devrait comporter une majorité de magistrats pour préserver son indépendance vis-à-vis des autorités politiques. Surtout, le nombre de magistrat-e-s et le nombre de procureurs ne devraient pas être équivalent compte tenu de leur nombre respectif (il y avait en 2019 128 magistrats professionnels et 630 magistrats non professionnels dans le Canton de Vaud pour 50 ETP de procureurs, source : rapports d’activité 2019 du TC et du MP). Les magistrat-e-s s’occupant de justice pénale risquent d’être sur-représenté-e-s au sein du CM au détriment de celles et ceux s’occupant de justice civile et administrative.

L’avant-projet prévoit en outre la présence au sein du CM de trois personnes proposées par la commission de présentation « hors sérail » dont les compétences (« par exemple, en ressources humaines ou en médiation » selon l’art. 5 al. 2 AP) sont mal définies. Les règles trop strictes d’incompatibilité avec des anciennes fonctions judiciaires et politiques (art. 5 al. 2 AP et art. 10 AP) risquent d’exclure les candidatures de personnes à sensibilité de gauche disposant de connaissances utiles au CM (on pense par exemple à d’ancien-ne-s juges assesseurs de prud’hommes ou des baux, de juristes d’associations – les compétences juridiques n’étant pas mentionnées – ou à d’ancien-ne-s député-e-s disposant de compétences juridiques). Enfin, la limite d’âge à 75 ans révolus est trop élevée.

En résumer, le Grand Conseil doit disposer d’une plus grande liberté pour composer le CM sous réserve du nombre de magistrat-e-s et procureur-e-s. Une fois élu-e-s, les membres du CM ne devraient toutefois pas pouvoir être révoqué-e-s pour les motifs figurant à l’art. 13 AP.

S’agissant de son organisation, une plus grande autonomie devrait être laissée au CM. Pour des raisons d’indépendance, le CM ne doit pas être rattaché administrativement à un département de l’administration (art. 17 AP) mais disposer de son propre secrétariat. Il doit également disposer de ressources suffisantes en personnel et en budget pour mener à bien ses tâches, par exemple pour procéder à des auditions et nommer des experts (cf. Rapport explicatif, p. 22, qui laisse entendre que cela se fera à moindre coût).

 

  1. Compétences du Conseil de la magistrature (art. 25 à 46)

La concentration de trop nombreuses compétences (surveillance administrative, surveillance disciplinaire, préavis en matière d’élections) en main des neuf membres du CM est problématique.

3.1.      Surveillance administrative

Le CM serait chargé de surveiller le Tribunal cantonal et le Ministère public, ces deux institutions étant elles-mêmes chargées de surveiller les autorités judiciaires et les procureurs. L’AP comble ainsi une lacune, le TC et le MP n’étant actuellement pas soumis à une surveillance.

Il faut toutefois prendre garde que cette surveillance ne remplace pas complètement la haute surveillance exercée par le Grand Conseil : l’art. 107 du projet de révision de la Constitution vaudoise laisse entendre que la haute surveillance est exercée « au travers » du CM alors que l’art. 1er AP charge le CM de la « surveillance ». Pour des questions de légitimité démocratique, il faut laisser subsister les compétences actuelles du Grand Conseil en matière de haute surveillance et ne pas modifier l’art. 107 de la Constitution vaudoise, même si l’objectif de « simplification du système » en souffre un peu. Il existe également un risque que, si elle est trop élargie, la surveillance administrative fasse double emploi avec celle exercée par le TC sur les offices judiciaires (art. 27 let. c et art. 28 let. d AP).

3.2.     Surveillance disciplinaire

Tous les cantons qui connaissent un CM lui confèrent la compétence disciplinaire sur les juges (et cas échéant les procureur-e-s) de sorte que cette solution est logique. Il est notamment important que les justiciables disposent d’un organe indépendant pour se plaindre du comportement d’un-e juge ou de sa manière de traiter un dossier.

On relève toutefois que les sanctions disciplinaires prévues ne sont pas suffisamment graduées : il n’y a pas d’avertissement ni de possibilité de suspendre un-e juge ou un-e procureur-e pour une durée limitée (avec ou sans traitement), ce qui pourrait être adéquat par exemple pour sanctionner un-e juge non professionnel-le (assesseur-e). La mise sous surveillance (art. 32 AP), qui n’est pas conçue comme une véritable sanction disciplinaire, ne paraît pas praticable et risque d’être perçue comme une sorte de « mise sous tutelle » privant la ou le juge de son indépendance.

3.3.      Collaboration du CM aux élections et réélections

Dans le cadre de la primo élection des magistrats, la double audition par le CM et la commission de présentation du GC est bienvenue. Cependant, le fait que le CM préavise directement à la réélection des juges cantonaux (art. 42 et 44 AP) constitue une perte importante de pouvoir du politique au profit des seuls membres du CM. Il n’y a un risque de voir une concentration de pouvoir trop importante se créer au sein du CM qui se verrait confier cette compétence en plus des compétences en matière de surveillances disciplinaire et administrative, qui sont déjà étendues. Par contre, le CM devrait renseigner la commission de présentation sur d’éventuels problèmes d’un-e candidat-e ou d’un-e juge-e en place au moment de son élection ou de sa réélection.

 

  1. Autres remarques

La Constitution ne devrait être modifiée que pour créer le CM tout en conservant les compétences actuelles du GC. L’art. 136a nouveau paraît donc suffisant.

D’autres modifications législatives – notamment de la loi d’organisation judiciaire – seront nécessaires pour mettre en œuvre le projet si bien qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble.