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Dépôts du 28.01.2025 – Grand Conseil Vaudois

Mardi, au Grand Conseil, Muriel Thalmann et Julien Eggenberger ont interpellé le gouvernement, la première afin de faire la lumière sur la procédure opaque des traitement juridiques des cas de violences domestiques, le second afin d’assurer le respect des droits humains des personnes migrantes.

Interpellation Julien Eggenberger et consorts – Assurer le respect des droits humains des personnes migrantes et interroger les renvois vers la Croatie

Texte déposé

Plusieurs associations, dont l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), Solidarité sans frontières, Stop Dublin Croatie et Médecins Action Santé Migrants, ont récemment documenté des cas de renvois, notamment vers la Croatie, dans le cadre des accords de Dublin. Ces témoignages mettent en lumière des problèmes liés au suivi des soins, aux conditions de renvoi et à la situation sur place. Malgré plusieurs interventions parlementaires – parmi les plus récentes : l’interpellation de Carine Carvalho[1], ou la question orale de Joëlle Minacci[2] – la situation ne semble pas s’améliorer.

Le rapport intitulé « Spirale de la violence – Dublin et la situation en Croatie » publié en 2023 par Solidarité sans frontières[3] révèle des abus graves, dont des traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes migrantes renvoyées en Croatie. Ces violences, combinées à des refoulements illégaux et des conditions d’insécurité, causent des traumatismes psychologiques et aggravent l’état de santé physique des personnes concernées. Différentes analyses de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)[4]démontrent les pratiques illégales des autorités croates (renvois illégaux, usage de la force contre les personnes en quête de protection,…). Dès lors, la pratique actuelle des autorités suisses en matière d’asile est aussi critiquable et elles devraient renoncer aux transferts vers la Croatie, en particulier lorsqu’un suivi médical est requis.

Un récent reportage de Camille Craft pour Blick.ch[5] confirme l’actualité de ces critiques. L’article illustre notamment les lacunes en matière de continuité des soins : une fillette gravement malade a été renvoyée en Croatie alors qu’elle avait un rendez-vous médical essentiel prévu le lendemain de son arrestation. Son reportage relate concrètement en quoi les conditions de suivi sanitaire en Croatie ne permettent pas la continuité des soins. De plus, le reportage met en lumière la pratique controversée des interventions nocturnes de la police cantonale, une approche qui soulève des questions sur le respect des principes de proportionnalité et sur l’impact traumatique pour les enfants concernés.

Les personnes migrantes accueillies dans notre canton ont souvent vécu des parcours migratoires éprouvants sur les plans physique et psychologique. Lorsqu’elles sont renvoyées, leur suivi médical et psychologique est souvent interrompu de manière brutale, les exposant à des risques accrus pour leur santé. Or, il semble que l’évaluation de leur état de santé avant le renvoi se limite aux seules conditions de transport, sans garantir la continuité des soins dans le pays de destination. Des lacunes importantes dans la transmission des informations médicales entre les professionnel·le·s de santé et les autorités semblent également être constatées, incluant des omissions concernant des rendez-vous médicaux déjà planifiés.

Le Conseil d’État a expliqué, dans le cadre de l’examen d’une motion Hadrien Buclin[6], que les autorités doivent disposer de toutes les informations pertinentes pour évaluer l’exécutabilité d’un renvoi. Or, dans le cas cité en exemple, plusieurs informations essentielles n’ont pas été transmises, compromettant ainsi l’évaluation, respectivement la continuité des soins après renvoi. L’article 46 de la Loi fédérale sur l’asile (LAsi) désigne le canton territorialement compétent comme responsable des renvois, même pour les personnes hébergées dans les centres fédéraux. L’article 64d de la Loi fédérale sur les étrangers (LEI) exige la prise en compte des problèmes de santé dans l’examen de l’exécutabilité d’un renvoi. Le Service de la population (SPOP) indique, dans l’article du Blick.ch, qu’il « veille systématiquement à clarifier l’état de santé des personnes avant d’organiser leur départ. » Cependant, seul le médecin évaluateur mandaté par le Secrétariat d’état aux migrations (SEM) « peut juger et décider de l’aptitude au voyage des personnes et des conditions dans lesquelles il peut être organisé sur le plan sanitaire. (…) Le SPOP n’a en effet aucune compétence médicale ou légale pour évaluer si les personnes sont aptes à voyager et n’est pas habilité au secret médical. (…) il appartient au SEM d’informer le pays de destination des éventuels besoins médicaux des personnes. » Les cas relevés démontrent une coordination déficiente.

Parallèlement, le mandat confié à OSEARA SA, qui consiste à évaluer l’aptitude au transport et à fournir un accompagnement médical, soulève des interrogations. Il n’est pas évident de comprendre comment la continuité des soins dans le pays de renvoi est évaluée. En outre, le Tages Anzeiger[7] a relevé le potentiel conflit d’intérêts lié au fait que cette entreprise pourrait être incitée à déclarer les personnes aptes au renvoi, étant ensuite rémunérée pour l’accompagnement médical pendant le vol.

Au vu de ces éléments, et afin de garantir la responsabilité des autorités cantonales et fédérales dans la protection de la santé des personnes migrantes, nous interpellons le Conseil d’État sur les points suivants :

  1. Quelle procédure exacte l’administration suit-elle pour s’assurer qu’aucun problème de santé ne s’oppose à un renvoi?
  2. Au vu des critiques concernant l’entreprise OSEARA SA et des éléments inquiétants rendus publics par les associations, le Conseil d’Etat est-il en mesure d’assurer que l’avis du médecin traitant sera entendu et que toutes les informations pertinentes (état de santé, rendez-vous médicaux planifiés, etc.) sont transmises aux autorités compétentes avant décision, avant exécution du renvoi puis aux autorités étrangères en lien avec le suivi après exécution du renvoi ?
  3. Les services cantonaux interviennent-ils en demandant un réexamen lorsque les informations en leur possession (ou en possession de la société qu’ils ont mandatée) confirment qu’un renvoi serait problématique du point de vue de la santé, soit dans l’exécution, soit dans la continuité des soins une fois dans le pays de destination ?
  4. Le Conseil d’État peut-il indiquer le nombre de renvois nocturnes effectués ces cinq dernières années et le nombre de situations ayant concerné des enfants de moins de 16 ans ?
  5. Existe-t-il une coordination avec les autorités du pays de destination, notamment la Croatie, pour garantir la continuité des soins nécessaires ?
  6. Le Conseil d’État a-t-il interpellé la Confédération au sujet des risques sanitaires liés aux renvois Dublin, en particulier vers des pays où l’accès aux soins est limité ?
  7. Envisage-t-il de demander la suspension des renvois vers des pays où il est impossible de garantir un accès adéquat aux soins médicaux et psychologiques ?

 

[1] https://www.vd.ch/gc/seances-du-grand-conseil/point-seance/point/1a1f18c2-0d2c-4763-8be9-596ce4aac8bf/meeting/1013645

[2] https://www.vd.ch/gc/seances-du-grand-conseil/point-seance/point/c01ce440-9baf-4fcd-96f8-f740c7ec32e8/meeting/1026875

[3] https://asile.ch/wp-content/uploads/2023/06/230628_Sosf_DublinKroatien_Spirale-de-la-violence_FRZ_WEB.pdf

[4] https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/analyse-juridique-sur-la-croatie-losar-porte-un-regard-critique-sur-la-pratique-actuelle-de-la-suisse

[5] https://www.blick.ch/fr/suisse/le-recit-dune-famille-deboutee-gravement-malade-cette-fillette-a-ete-renvoyee-par-la-suisse-dans-un-centre-sordide-en-croatie-id20512172.html

[6] https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/gc/fichiers_pdf/2022-2027/23_MOT_14_RCmaj.pdf

[7] https://www.tagesanzeiger.ch/aerzte-ohne-noetige-qualifikation-begleiten-ausschaffungsfluege-982822675621

Interpellation Muriel Thalmann et consorts – Violences domestiques : trop de suspensions suivies de classements des procédures ?

Texte déposé

Le Code pénal prévoit à l’art. 55a  que le Ministère public ou le tribunal  peut suspendre une procédure en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menace ou de contrainte.

Art. 55a

1 En cas de lésions corporelles simples (art. 123, ch. 2, al. 3 à 5), de voies de fait réitérées (art. 126, al. 2, let. b, bbis et c), de menace (art. 180, al. 2) ou de contrainte (art. 181), le ministère public ou le tribunal peut suspendre la procédure:

a. si la victime est:

  1. le conjoint ou ex-conjoint de l’auteur et que l’atteinte a été commise durant le mariage ou dans l’année qui a suivi le divorce,
  2. le partenaire ou ex-partenaire enregistré de l’auteur et que l’atteinte a été commise durant le partenariat enregistré ou dans l’année qui a suivi sa dissolution judiciaire,
  3. le partenaire ou ex-partenaire hétérosexuel ou homosexuel de l’auteur et que l’atteinte a été commise durant la période de ménage commun ou dans l’année qui a suivi la séparation, et

b. si la victime ou, lorsqu’elle n’a pas l’exercice des droits civils, son représentant légal le requiert, et

c. si la suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime.

4 La suspension est limitée à six mois. Le ministère public ou le tribunal reprend la procédure si la victime ou, lorsqu’elle n’a pas l’exercice des droits civils, son représentant légal le demande, ou s’il apparaît que la suspension ne stabilise pas ni n’améliore la situation de la victime.

5 Avant la fin de la suspension, le ministère public ou le tribunal procède à une évaluation. Si la situation de la victime s’est stabilisée ou améliorée, il ordonne le classement de la procédure.

Dans le cadre de procédure pour violences domestiques, il semblerait que les procureurs aient pour pratique de tenter de « pousser » à la suspension des cas, avant de classer la procédure au bout de 6 mois.

Une telle manière de faire apparait particulièrement problématique lorsque la victime n’est pas familière avec les règles de la procédure, notamment lorsqu’elle n’est pas assistée d’un conseil, et bien plus problématique lorsqu’elle est allophone. Elle ne peut alors se rendre compte, à moins d’en être informée expressément et de manière intelligible par le procureur, qu’une fois la procédure suspendue, elle sera en réalité simplement classée. Un tel classement, qui pourrait s’avérer systématique, conduirait à ce que l’auteur ne soit jamais reconnu coupable et qu’il puisse une fois de plus dans ce domaine développer un sentiment d’impunité inacceptable. Quant à la victime, les chances pour elle d’obtenir la protection de la justice apparaissent fort tenues, ce qui n’était clairement pas la volonté du législateur en permettant la suspension de telles procédures.

Afin de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles la procédure est suspendue et celles dans lesquelles elle est ensuite classée, j’ai l’honneur de poser les questions suivantes au Conseil d’Etat :

  1. Combien de procédures pour violences domestiques ont été ouvertes entre 2022 et 2024 ?
  2. Pour quelles accusations ces procédures pour violences domestiques ont été ouvertes entre 2022 et 2024 ?
  3. A quel stade de l’instruction la suspension a-t-elle été proposée puis prononcée ?
  4. La police, respectivement le procureur, ont-ils informé la victime qu’elle pouvait être assistée d’un avocat ou du moins qu’elle avait droit à des conseils au sens de l’art. 8 LAVI ?
  5. Dans combien de cas suspendus une nouvelle plainte a-t-elle été déposée?

 

Je remercie d’avance le Conseil d’Etat pour ses réponses.

 

Pully, le 28 janvier 2025